Kanshu Sunadomari, fut l'un des plus grands maîtres de l'Aïkido. Originaire d'une famille de croyants Omoto proche du maître Ueshiba, Kanshu Sunadomari est devenu son disciple à l'âge de 18 ans. Il l’assista pendant les années de guerre, notamment dans ses cours donnés à la police militaire. Après avoir survécu aux épreuves de la guerre et repris l'entraînement avec Ueshiba Sensei, il est devenu, à seulement 38 ans, le plus jeune 9ème dan de l'histoire de l'Aïkido. Réputé pour ses démonstrations spectaculaires, son style fut marqué par une profonde spiritualité.
Biographie parue dans le magazine Self & Dragon – Spécial Aïkido n°20 de janvier 2025.
Kanshu Sunadomari (砂泊誠秀) est né en 1923 à Kobuke, dans la préfecture de Kagoshima, située sur l’île de Kyushu. Il est originaire d’une famille de croyants Omoto proche de Morihei Ueshiba. Sa famille maintiendra une relation étroite avec le Fondateur tout au long de sa vie. Son grand frère, Kanemoto, a étudié auprès de maître Ueshiba dans les années 1930 et a publié, en 1969, sa première biographie autorisée intitulée "Aikido Kaiso Morihei Ueshiba". Sa sœur aînée, Fukiko (Mitsue), pratiquante de haut niveau, a été directrice de la section féminine (Fujin Bucho) du Hombu Dojo de Tokyo et est devenue la proche confidente du Fondateur dans ses dernières années.
C’est par l'intermédiaire de son frère que Kanshu rencontre maître Ueshiba pour la première fois en 1941, dans son dojo à Tokyo. Âgé de 18 ans, le jeune homme est impressionné par le maître, assis tel un vieux guerrier avec une moustache à la manière des samouraïs des livres d'histoire. Ueshiba Sensei lui dit alors : « Que penserais-tu de devenir uchi-deshi ? ». Bien qu’il n’ait jamais vu sa pratique martiale, Kanshu est attiré par la spiritualité qui émane de maître Ueshiba. Sans hésiter, il accepte la proposition et commence à s’entraîner à ses côtés dès le lendemain. Le jeune homme rejoint le Kobukan Dojo à une période très difficile. À cette époque, la plupart des disciples de maître Ueshiba ont été enrôlés dans les forces armées et sont partis au front. Les affaires du Kobukan sont gérées par Minoru Hirai, promu directeur général. Excepté Koichi Tohei et Kisaburo Osawa, seuls quelques pratiquants rejoignent le dojo, mais repartent après une courte période. Les uchi-deshi ne font que passer, et le jeune Kanshu est souvent le seul élève interne disponible sur la durée. Il étudie directement auprès d’O Sensei et l'assiste régulièrement dans ses déplacements en tant qu’otomo.
Kanshu vit et s’entraîne aux côtés de maître Ueshiba et apprend énormément en l’observant au quotidien. Chaque jour, ils s’entraînent matin et soir, souvent rejoints par quelques élèves extérieurs (soto deshi). En cette période de guerre, de nombreux militaires, ainsi que des chefs d'entreprise, leurs épouses et leurs enfants, participent également aux sessions. O Sensei démontre uniquement les techniques à mains nues (Taïjutsu). Toutefois, en privé, il s’entraîne avec des armes et pratique le sabre, la lance et la baïonnette avec Kanshu. Le Fondateur donne peu d’instructions verbales dans ses cours : il démontre une technique une fois à droite, puis une fois à gauche. En une heure de cours, seulement trois techniques sont pratiquées. Maître Ueshiba demande aux pratiquants de ne pas « pensez pas à la technique » et n’enseigne jamais comment exécuter les mouvements. Kanshu doit donc ressentir la technique lorsqu’il est projeté par le maître, et cette répétition constituait son étude principale. En dehors du Kobukan, O Sensei enseigne principalement à la police militaire japonaise, la Kenpeitai, située à Nakano, où il se rend deux fois par semaine. Bien que jeune et peu expérimenté, Kanshu l’assiste dans ses enseignements. Malgré la robustesse et la résistance des militaires, Kanshu parvient à leur servir de partenaire et à les corriger, trouvant ces sessions d’entraînement extrêmement formatrices pour lui. Partageant la même religion qu’O Sensei, Kanshu estime qu’il est essentiel de comprendre l’esprit de l’Aïkido, sans se limiter aux seules formes techniques. Ce qui peut déconcerter certains, chez le maître, lui paraît naturel et évident.
En 1942, les frappes aériennes s'intensifient au-dessus de Tokyo, conduisant à la formation de groupes de lutte anti-aérienne dans les différents quartiers de la ville. O-Sensei devient l’un des leaders de ces groupes, mais sa santé se détériore en raison de problèmes d’estomac. Il se rend régulièrement à Iwama, sur les terres qu’il a acquises, pour superviser la construction de son futur dojo. Son intention est de se retirer de la capitale, alors sous les feux des bombardements, pour se consacrer à l'agriculture, à l'entraînement et à la méditation. Pendant cette période, Kanshu doit le remplacer pour diriger le groupe anti-aérien. À cette époque, les entraînements matinaux et en soirée sont rares. Après avoir passé un an et demi auprès de maître Ueshiba, Kanshu est incorporé dans l’armée impériale japonaise à la fin de 1943. Comme de nombreux jeunes hommes de son époque, il est envoyé au front. Il parvient à survivre aux combats alors que de nombreux camarades trouvent la mort. Kanshu attribue sa survie à la volonté des kamis et ressent une profonde gratitude pour cette protection divine.
En 1947, après son retour du front, Kanshu Sunadomari se rend au dojo de Tokyo pour revoir son maître, mais apprend par son fils, Kisshomaru, que celui-ci est tombé malade à la suite d’une grave infection intestinale et vit désormais à Iwama, dans la préfecture d'Ibaragi. Sunadomari se rend à Iwama pour saluer O Sensei et découvre que ce dernier a subi une transformation spirituelle profonde, motivée par une réflexion sur le devenir et l’utilité de l’Aïkido après la guerre. Kanshu s’entraîne brièvement auprès de lui et des quelques deshis présents, dont Tadashi Abe, qu’il avait côtoyé avant de partir au front.
Comme beaucoup de Japonais de l'époque, Sunadomari doit trouver du travail pour subvenir à ses besoins. En 1953, il déménage à Kumamoto pour des raisons professionnelles. À son arrivée, il rencontre des personnes qui connaissent Morihei Ueshiba via l’Omoto-Kyo et l’encouragent à enseigner l’Aïkido, encore inconnu dans la région bien que les Budo y soient populaires. Avec le soutien du journal local et des officiers de l’armée ayant étudié avec Ueshiba Sensei, Kanshu Sunadomari donne la première démonstration publique d’Aïkido, au Shinbukan Dojo de Kumamoto, devant plus de 300 personnes. L’événement est un succès, suscitant un grand intérêt pour l’Aïkido.
Suite à ce succès, Kanshu retourne à Tokyo pour obtenir la permission d’O Sensei d’ouvrir un Dojo. Soutenu par les habitants de Kumamoto, la construction du futur Dojo commence en janvier 1954 et dure un an et neuf mois. Pendant cette période, Sunadomari Sensei, 6ème dan, commence à enseigner dans un dojo de fortune appelé Kuhonji Ankiro Dojo, situé dans une ancienne usine pharmaceutique désaffectée. Le Manseikan Dojo, situé au cœur de la ville dans les locaux du sanctuaire Tetori, est inauguré le 2 octobre 1955. Par la suite, maître Ueshiba rend régulièrement visite à Sunadomari Sensei et participe à l'activité du dojo.
En 1961, maître Ueshiba est au dojo de Kumamoto pour une démonstration télévisée. Sur les douze minutes prévues, O Sensei n'en réalise que deux, obligeant Sunadomari Sensei et ses disciples à combler les dix minutes restantes. Sur le chemin du retour à Tokyo, maître Ueshiba, qui avait observé attentivement la démonstration de Sunadomari Sensei, lui envoie un certificat de 9ème dan et le titre de Shihan pour toute l’île de Kyushu, le plus haut rang à l’époque. À seulement 38 ans, Kanshu Sunadomari devient le plus jeune 9ème dan de l'histoire.
Au fil des années, l'organisation de Sunadomari Shihan se développe dans le sud du Japon, sur Kyushu, la troisième plus grande île du Japon. Une trentaine de dojos sont créés dans les préfectures de Fukuoka, Kagoshima, Nagasaki et Miyazaki, attirant des milliers de pratiquants. À Fukuoka, il dirige des stages à l’académie de police, où il enseigne des techniques d’arrestation. Après le décès de maître Ueshiba en 1969, Kanshu Sunadomari prend son indépendance de l’Aïkikaï Hombu Dojo, enseignant son propre style et mettant davantage l'accent sur l'aspect spirituel de l’Aïkido.
Après plusieurs années d’anonymat relatif, Sunadomari Sensei atteint une reconnaissance internationale grâce à Stanley Pranin, historien américain et rédacteur en chef du magazine Aïkido Journal. En 1983, il répond favorablement à sa demande d’interview. Leur entretien sera publié dans les numéros 64 et 65 d’Aïki News. Leur collaboration aboutit à une invitation pour la première "Friendship Demonstration" organisée par Stanley en 1985 à Tokyo. Accompagné de ses disciples, maître Sunadomari est acclamé par les 900 personnes présentes pour sa performance. Elle deviendra par la suite, l’une des démonstrations d'Aïkido les plus célèbres.
En 1999, Sunadomari Sensei renomme son style « Aïki Manseido » pour symboliser ses convictions et transmettre l’esprit du Fondateur à travers les techniques physiques. Il privilégie le terme "Do" (voie) au terme "Kan" (château, maison), "Manseido" signifiant "la manière de donner vie à toutes choses" ou "le chemin pour tous". Dans son école, ses disciples récitent avant chaque cours un dicton de maître Ueshiba, nommé « Aikido no Seishin » (l'esprit de l’Aïkido). Sunadomari Sensei enseigne des techniques axées sur l'esprit du Fondateur, affirmant que « l'Aïkido n'est pas seulement la transmission d'une forme mais d'un esprit ». Il écrit une série de trois volumes didactiques intitulés « Aikido no Kokoro : Kokyu Ryoku » (Le cœur de l’Aïkido : la puissance du souffle), convaincu que c'est là le véritable pouvoir de l’Aïkido.
Auteur de plusieurs ouvrages en japonais sur l’Aïkido, Sunadomari Shihan publie son premier livre en anglais, "Enlightenment through Aikido" (l’illumination par l’Aïkido), en 2004. Il y aborde les enseignements spirituels d’O Sensei. En août de la même année, le magazine japonais Gekkan Hiden lui consacre un dossier et une interview. Cet entretien est republié en 2009 dans un recueil de 14 interviews d’élèves d’O Sensei, intitulé « Profils du Fondateur ». En janvier 2008, il renomme son organisation "Manseikan Aïkido" pour réaffirmer le dévouement de son organisation à l’étude et à la philosophie d’O Sensei. Kanshu Sunadomari s'éteint le 13 novembre 2010 à l'âge de 87 ans. Il laisse en héritage un style technique à la fois doux et puissant, caractérisé par une dynamique en Ki No Nagare et par l’importance du principe de Kokyu Ryoku. Au cours des dernières décennies, son organisation a regroupé plus de 20 000 pratiquants et formé plus de 3 000 ceintures noires. Son élève Terumasa Hamada, Shihan 8ème dan, a assuré la relève à la tête du Manseikan Aïkido jusqu’à son décès en juin 2023.
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