Rinjiro Shirata, le prodige du Kobukan

Par Nicolas DE ARAUJO

 

 

 

Maître Shirata fut pendant longtemps l’un des plus anciens membres de l’Aïkikaï. Admis au Kobukan dojo en 1932, il devint l’un des principaux assistants de maître Ueshiba à Tokyo puis à Osaka. Connu pour sa force physique exceptionnelle, il demeura l’un des rares professeurs d’avant-guerre à reprendre l’enseignement à la fin des années cinquante. Personnalité majeure, il fut le Président de la Fédération Japonaise d’Aïkido et du conseil supérieur de la Fédération Internationale d’Aïkido. Partisan très loyal de la famille Ueshiba, le Doshu lui décerna le haut grade de 10ème Dan à titre posthume.   

Biographie parue dans le magazine Self & Dragon Spécial Aïkido n°7 - Octobre 2021.

 

Descendant d’une famille de guerriers

Rinjiro Shirata (白田林二郎) est né le 29 mars 1912 à Oyamura, dans la préfecture de Yamagata. Quatrième d'une fratrie de cinq enfants, il est issu d’une famille de croyants Omoto Kyo. La famille Shirata est descendante d’une lignée de guerriers de hauts rangs devenus de riches propriétaires terriens grâce à l’agriculture et l’industrie forestière durant l’ère Meiji. Tout comme son grand-père, son père exerce la fonction de maire de son village. Héros de la guerre russo-japonaise, son père a participé à la bataille acharnée de Heikoutai en janvier 1905. Fils de bonne famille, le jeune Rinjiro est élevé par une nourrice et reçoit une bonne éducation notamment en lettres classiques.

 

Un physique imposant

Enfant espiègle, Rinjiro débute la pratique du Kendo à l’école secondaire et entreprend la pratique du Judo à partir de sa troisième année. Profitant de sa taille et de sa force physique supérieure à la moyenne, il bat fréquemment des camarades plus âgés que lui. Judoka talentueux, il est nommé capitaine de l’équipe de son collège et promu au grade de deuxième dan à l’âge de dix-sept ans. Transféré au collège Takachiho à Tokyo, il y poursuit son étude du Judo et participe à des tournois parascolaires avec les collèges voisins. Débordant d’énergie et d’enthousiasme, Rinjiro s’entraîne également avec des adultes dans les dojos de la Police. Étant issu d’une famille aisée et n’ayant pas d’aspiration professionnelle particulière pour son avenir, Rinjiro reste oisif plusieurs mois après l’obtention de son diplôme.

 

Uchi deshi de maître Ueshiba

Inquiet pour son avenir, son père l’exhorte à l’accompagner au dojo de Maître Ueshiba à Wakamatsu Cho. Fervent croyant de la religion Omoto et partisan des arts martiaux, il a eu la chance d’assister précédemment à une démonstration du Maître à Ayabe. Tout d’abord surpris par ce qu’il a vu, il est convaincu qu’une formation auprès de ce maître constituerait un atout pour son fils. Bien qu’il ne connaisse par l’art de maître Ueshiba, Rinjiro respecte les conseils de son père et intègre le Kobukan Dojo en tant qu’élève interne à la fin de l’année 1932. Rinjiro n’est pas autorisé à pratiquer les premiers temps. Selon la tradition, les plus jeunes ont seulement le droit de regarder la pratique et doivent se charger des tâches ménagères quotidiennes. Après six mois « d’observation », il est enfin autorisé à participer aux sessions d’entrainement. Surnommé le dojo de l’enfer, la pratique y est sévère. Rinjiro s’entraine vigoureusement avec ses camarades Shigemi Yonekawa, Hisao Kamada, Ikkusai Iwata, Kaoru Funahashi, Tsutomu Yukawa, Takako Kunigoshi et Kazuko Sekiguchi. Faisant preuve de sincérité et d’une grande dévotion, le jeune homme s’épanouit au sein du Kobukan Dojo et devient rapidement l’un des principaux uchi-deshi de maître Ueshiba.

 

En charge des Dojoyaburi

Disciple au talent exceptionnel, Shirata sert d’assistant au fondateur et l’accompagne dans ses déplacements extérieurs, notamment à l’académie navale, à l’école technique des torpilleurs et à la Police militaire. Mesurant 1m70 pour 75 kilos, Rinjiro est apprécié et reconnu pour sa puissance physique. Que ce soit au Hombu dojo ou dans les dojos extérieurs, il est régulièrement mis à contribution pour relever les défis (dojoyaburi) imposés par les « visiteurs » mal intentionnés voulant tester ce nouvel art. Ne connaissant jamais la défaite, lors de ces combats pouvant nuire à la réputation du dojo, il gagne le surnom de « prodige du Kobukan » et de « Kirinji » (le jeune homme talentueux a l’avenir prometteur). Parmi ses exploits, celui imposé par deux hommes de la région d’Okayama, au dojo du Budo Senyokai, moins d’un an après ses débuts est riche d’enseignements. Dans un premier temps, le jeune Rinjiro refuse l’affrontement expliquant qu’il n’y a pas de compétition dans cette voie car l’objectif n’est pas de se battre. Devant les provocations continues des deux hommes, Rinjiro s’emploie à contre cœur en tordant leurs poignets et leurs bras avec Nikajo puis en écrasant leurs visages au sol tout en leur disant : « êtes-vous capables de me résister maintenant ? C’est à ça que ressemble la non-résistance ». Devant faire face à une charge d’enseignement de plus en plus lourde, maître Ueshiba doit s’appuyer sur ses principaux assistants pour remplir ses engagements. Rinjiro est ainsi envoyé pour enseigner l’Aïki Budo dans les dojos de Tokyo puis à Osaka, en particulier auprès du groupe du Journal Asahi. En 1935, Shirata fait d’ailleurs partie des partenaires de Maître Ueshiba pour le film « Budo » produit par le journal.

 

Officier dans l’armée impériale

En 1937, l’université de Kenkoku, située en Mandchourie, adopte l’Aïki Budo et demande au fondateur de lui envoyer un enseignant. Dans un premier temps, Ueshiba Sensei recommande Shirata, mais au même moment, l’expansionnisme Japonais en Chine s’intensifie et ce dernier est incorporé dans l’armée Impériale Japonaise en décembre. Rinjiro est envoyé en Mandchourie où il est affecté au 32ème régiment d’infanterie avec le grade de sous-lieutenant. En 1939, il rejoint la 803ème unité située dans la province d’Ando. Bien que son engagement initial prenne fin en 1942, Rinjiro décide volontairement de se réengager. Titulaire du grade de capitaine, il est alors promu commandant de la 6ème compagnie. Fait intéressant, ses hommes obtiennent d’excellents résultats aux exercices de maniement de la baïonnette ainsi qu’au tir. Shirata retourne temporairement au Japon pour obtenir son diplôme d’officier volontaire à l’école militaire et se marie le 10 mars 1942. Il est ensuite affecté en Birmanie en tant que commandant du second bataillon du 168ème régiment d’infanterie et prend la tête de six-cents soldats alors qu’une bataille féroce fait rage dans la campagne birmane. En 1945, la capitulation japonaise met fin aux hostilités après plusieurs années d’une guerre totale. Rinjiro, qui a réussi à survivre, est alors fait prisonnier avec ses hommes dans le camp de Mudon. La vie dans ce camp est relativement agréable. Le travail manuel n’est pas trop difficile et les prisonniers disposent de beaucoup de temps libre. Rinjiro dispense à l’occasion des conférences culturelles aux soldats sur les mythes et les légendes du Kojiki. Le Major Shirata est rapatrié à Otake, dans la préfecture d’Hiroshima, en juillet 1946. Souffrant d’un léger cas de malaria, Rinjiro se remet rapidement et retourne vivre auprès de ses parents, son épouse et leur premier enfant. Cependant Rinjiro aspire à reprendre l’entraînement auprès de son maître. Il rend visite à O Sensei, alors retiré à Iwama. Malheureusement sa charge familiale ne lui permet pas de se consacrer pleinement à la pratique. Il retourne vivre dans sa préfecture natale de Yamagata pour y travailler dans une compagnie d’assurance-vie. Au fil des années, le couple donne naissance à deux autres enfants.

 

La renaissance d’après-guerre

Professionnel avisé, Rinjiro suit une formation en gestion. Il est promu, par sa compagnie, directeur de la branche d’Aomori. Malgré une longue interruption de plusieurs années, Shirata décide de soutenir le rétablissement de l’Aïkido dans le pays. Il est ainsi l’un des rares instructeurs d’avant-guerre du Kobukan à reprendre la pratique. En 1959, il établit une succursale de l’Aïkikaï à Aomori et enseigne l’Aïkido au sein de la prison. Shirata Shihan se voit attribuer le grade de huitième dan en 1962 par maitre Ueshiba. C’est alors le plus haut grade décerné par le maître à ses disciples. Une nouvelle promotion professionnelle conduit maître Shirata et sa famille dans la ville de Yamagata située dans la préfecture du même nom. Il devient instructeur du club universitaire d’Aïkido en 1966 et ouvre, en octobre 1969, le premier dojo de l’Aïkikaï de Yamagata. Représentant officiel de l’Aïkikaï pour cette préfecture, Maître Shirata travaille avec passion à y promouvoir l’art du fondateur. Soucieux de préserver l’essence des enseignements qu’il a reçu avant-guerre par maître Ueshiba, Shirata Sensei transmet un Aïkido dynamique, précis et puissant empreint de ses connaissances techniques et spirituelles, à mains nues comme aux armes. Il développe ainsi une série de treize exercices à réaliser seul (Tandoku Dosa) pour « débloquer » le corps, former les hanches et développer le Kokyu. Ses techniques sont souvent décrites comme étant « entre le Hombu Dojo et Iwama ».

 

Personnalité éminente de l’Aïkikaï

A partir du milieu des années soixante-dix, maitre Shirata se retire partiellement du monde du travail. Personnalité éminente au sein de l’Aïkikaï, promue au grade rarissime de neuvième dan par le Doshu Kisshomaru Ueshiba en 1972, Shirata Shihan occupe d’importantes fonctions officielles au sein de l’Aïkido Japonais. Il exerce la fonction d’instructeur en chef de la région nord du Japon et devient le premier président de la fédération d’Aïkido de la région de Tohoku en 1973. Promu Président de la Fédération Japonaise d’Aïkido à la fin des années soixante-dix, il occupe également diverses fonctions au niveau local et participe activement à la vie sportive municipale. En commémoration du dixième anniversaire de la mort du fondateur, Rinjiro Shirata organise, en 1979, le huitième congrès de la région de Tohoku à Yamagata et invite à cette occasion le Doshu Kisshomaru Ueshiba. Un an plus tôt, il est le sujet d’un documentaire TV, produit localement pour la préfecture de Yamagata, où il effectue une démonstration technique avec ses élèves et répond à une longue interview.

 

Reconnaissance internationale

Maître Shirata est nommé président du conseil supérieur de la Fédération Internationale d’Aïkido (F.I.A.) lors de son premier congrès mondial qui se déroule à Tokyo en octobre 1976. Il reste membre du conseil supérieur au sein de la F.I.A. pendant plusieurs mandats et voyage dans ce cadre à l'étranger à plusieurs reprises pour diriger des séminaires où son approche de l’enseignement séduit de nombreux pratiquants. Shirata Sensei fait notamment partie de la délégation Japonaise lors du troisième congrès mondial de la F.I.A. qui se déroule à Paris en octobre 1980. Plus haut gradé parmi les maîtres présents avec Ikkusai Iwata, il y dirige la pratique et effectue une démonstration de Ken à cette occasion. En 1982, il est invité par l'Association chinoise d'Aïkido à participer à un séminaire amical et effectue une démonstration avec dix de ses élèves de Yamagata. Après une première invitation à Honolulu en 1978, il est de nouveau invité aux USA, en 1984, par la Midwest Aikido Federation d’Akira Tohei Shihan. Il dirige plusieurs sessions d’entrainement à Chicago regroupant de nombreux pratiquants.

 

Transmission de l’Aïkido

Totalement dévoué à la diffusion de l'Aïkido, Shirata Shihan est l'un des plus fidèles défenseurs de la famille Ueshiba. Maître Shirata participe régulièrement, au fil des ans, aux grands événements parrainés par l'Aïkikaï, tels que la All-Japan Aikido Demonstration, l'Iwama Taisai et la cérémonie Kagami Biraki du nouvel an au Hombu Dojo de Tokyo. Ses démonstrations remportent à chaque fois un vif succès. La précision et la puissance de ses techniques ne faiblissent pas malgré son âge avancé. Maître Shirata s’évertue à lire le poème « éloge de maître Ueshiba » écrit par Masahisa Goi avant chaque intervention. A l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, il effectue la démonstration filmée d’un grand nombre de techniques d’Aïki-Budo d’avant-guerre, des techniques de base mais également d’autres plus avancées. Par son action, il produit une ressource historique permettant de mieux comprendre l’évolution des techniques d’Aïkido au fil du temps. En juillet 1983, il répond favorablement à la demande de Stanley Pranin, rédacteur en chef du magazine Aiki News, pour une interview. Leur entretien sera également publié, en 1993, dans le recueil d’interviews menées par l’historien américain intitulé "les maîtres de l’Aïkido, période d’avant-guerre". Désireux de faire connaître la philosophie de l’Aïkido au plus grand nombre, Shirata sensei supervise, en 1984, la rédaction d’un livre intitulé "Aïkido : Way of Harmony". Ce livre, rédigé en langue anglaise par son élève John Stevens, présente ses techniques et concoure à le faire connaître à l’étranger.

 

Dernières années

En 1985, Maître Shirata reçoit le prix d’excellence du Budo lors de la cérémonie d'ouverture du Nippon Budokan. Son mandat de président de la fédération japonaise d'Aïkido est également renouvelé. Faisant encore preuve d’une grande vitalité, il fait face au champion de catch professionnel Tatsumi Fujinami le 12 septembre 1986. Ce dernier, se présentant en avance au gymnase de Yamagata pour un match, assiste par inadvertance au cours des enfants dirigé par Maître Shirata. Intrigué, il demande au maître de lui démontrer l’Aïkido. Refusant dans un premier temps, Shirata sensei accepte finalement devant l’insistance prononcée du lutteur. Malgré un imposant gabarit de plus de cent kilos, Fujinami ne peut résister à un Nikyo du maître qui l’immobilise avec une grande facilité. L’évènement sera rapporté, deux jours plus tard, dans le magazine Tokyo Sports avec une photo de Fujinami torse nu maîtrisé par le maître. Shirata Sensei avouera ensuite à Fujinami qu’il ne le connaissait pas et pensait que c’était un débutant. Pour commémorer le vingtième anniversaire de l’Aïkikaï de Yamagata, un séminaire exceptionnel est organisé en présence du futur Doshu, Moriteru Ueshiba. En 1991, Maître Shirata participe aux célébrations du soixantième anniversaire du Hombu Dojo de Tokyo, aux côtés du Doshu Kisshomaru Ueshiba et de maître Iwata avec lequel, il reste pendant de nombreuses années, un des deux plus anciens instructeurs. Fidèle à la voie établie par maître Ueshiba, Shirata Sensei reste actif dans son dojo de Yamagata jusqu'à son dernier souffle. Il s’éteint le 29 mai 1993 à l’âge de 81 ans. Lors de ses funérailles, Kisshomaru Ueshiba déclaré que « Rinjiro Shirata représente ce que l'Aïkido est censé être » et lui décerne le grade de dixième Dan à titre posthume.

 

Legs et place dans l’histoire

Bien qu’étant une figure peu connue des pratiquants actuels d’'Aïkido, Maître Shirata est un personnage notable dans l’histoire de notre art et reste l’un des très rares à s’être vue décerné le grade de dixième dan. Tous les récits à son sujet le décrivent comme un homme doué techniquement mais également modeste, spontané, sincère et chaleureux incarnant véritablement l’idéal de l’Aïkido. Préférant rester dans le giron de l’Aïkikaï, maître Shirata n’a pas développé son propre courant. Pratiquant des premières heures au « dojo de l’enfer » durant les années trente, il fut le témoin de l’évolution des techniques du Daito Ryu vers l’Aïki Budo souhaitée par Maître Ueshiba. Ses connaissances des préceptes de l’Omoto Kyo lui ont également permis de mieux appréhender l’esprit des techniques d’Ueshiba Sensei. En vertu de son immense expérience et dans le but de préserver un Aïkido authentique, il a pu ainsi digérer et propager tous les aspects de l’Aïkido par d’importantes contributions personnelles. En complément de ses nombreuses démonstrations publiques, les vidéos « thématiques » qu’il a réalisées représentent aujourd’hui de précieux témoignages des techniques d’avant-guerre. Par l’intermédiaire de ses écrits et de ses interviews, Shirata Sensei a souhaité nous donner des clefs pour nous permette de mieux décrypter la philosophie d’O Sensei et ainsi contribuer à la diffusion mondiale d’un Aïkido fidèle à son créateur.

 

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